Association Bloom

Contre la destruction de l'océan, du climat et des pêcheurs artisans

Une ONG 100% efficace

Vous mobiliser Faire un don

14 mai 2024

Anatomie d’une chute : le gouvernement français se discrédite en formant une coalition antiécologique européenne sur fond de fake news

Le gouvernement vient d’achever le mince crédit politique sur l’écologie qui lui restait sur la scène internationale en prenant la tête d’une coalition antiécologique européenne contre le Royaume-Uni sur fond de fake news fabriquées par les lobbies et colportées sans vérification par le ministre délégué à l’Europe Jean-Noël Barrot. BLOOM a fait le fact-checking.

Plus de doute sur qui est le patron de l’océan. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas l’État français qui est souverain dans ses eaux mais le lobby du chalut, défenseur de la méthode de pêche la plus destructrice pratiquée en Europe.

Lorsqu’en mars dernier, le Royaume-Uni a pris les premières mesures pour réellement protéger ses eaux en interdisant la pire technique de pêche, le chalutage de fond, dans une toute petite partie de ses aires marines dites « protégées » (et qui ne l’étaient pas jusque-là), le gouvernement français est monté au créneau à Bruxelles et a formé une coalition de huit États pour se battre contre la protection à ses yeux insupportable de l’environnement et du climat décrétée par nos voisins britanniques.  

Cette cabale diplomatique, vouée à l’échec d’un point de vue juridique (le motif invoqué pour ouvrir un contentieux dans le cadre de l’Accord de commerce et de coopération du Brexit est fallacieux) répond à la dramatisation des enjeux montée en épingle par le lobby industriel de la pêche en France, sur la base de mensonges et de fake news que BLOOM a fact-checkés. Non, la décision britannique ne “sonne pas le glas” de la pêche française et européenne ! BLOOM a calculé que seuls 67 navires français de plus de 15 mètres ont utilisé des engins de fonds traînants en 2023 dans les aires marines protégées britanniques sujettes à une interdiction, et n’y ont passé en moyenne que… 3,16% de leur temps de pêche. 

Voilà dans quel type de tapis un gouvernement aux ordres d’un lobby de mauvaise foi peut se prendre les pieds. La séquence diplomatique pathétique orchestrée par la France main dans la main avec des politiques de droite et d’extrême-droite signe la chute de la puissance de l’État, asservi à des intérêts industriels insignifiants contre l’urgence même de défendre les pêcheurs artisans français.  

A un an d’accueillir à Nice la troisième conférence des Nations unies sur l’océan, le suspense est levé : après avoir lancé à Brest avec le Royaume-Uni en février 2022 la « Coalition de la Haute Ambition pour la Nature et les Peuples » lors du One Ocean Summit, Emmanuel Macron a déshonoré la France en lançant la Coalition européenne de la destruction de l’océan et du climat. 

Défilé de politiques contre la protection de l’océan et du climat 

Le 22 mars 2024, le Royaume-Uni interdisait le chalutage de fond dans certaines zones au sein de treize aires marines protégées britanniques. Dans la foulée, les conseillers régionaux du RN, le président LR de la région Hauts-de-France Xavier Bertrand et le ministre délégué à l’Europe Jean-Noël Barrot montaient au créneau dénonçant des « décisions arbitraires » et « discriminatoires » qui « sonneraient le glas » de la « filière halieutique française ». Ce serait « la survie de toute une profession » qui serait en jeu, et qui appellerait à « des mesures de rétorsion », car « nous avons nos pêcheurs qui vont disparaître ». 

Olivier le Nézet, le Président du Comité national des pêches, expliquait quant à lui sur TF1 et Twitter que pour certains pêcheurs de Boulogne-sur-Mer, cette décision impacterait 100% de leur activité, et que « sous couvert de protéger la biodiversité, on va exclure la totalité des activités des flottilles européennes des eaux du Royaume-Uni ». Avant de se féliciter le 7 mai sur Twitter de la tenue le 23 mai d’un « comité spécial sur la pêche entre la Commission européenne et le Royaume-Uni ». 

Mais, face à ce discours apocalyptique, quels sont les faits ? Ces fermetures au chalutage de fond sont-elles réellement « infondées » ? Sont-elles « discriminatoires » ? Vont-elles « sonner le glas » de la pêche française ? A toutes ces questions, la réponse est la même : non. Mais, dans le régime de post-vérité du gouvernement, de la droite et de l’extrême droite, seule semble compter la défense du statu quo et le refus de toute mesure de protection de l’océan. 

Le gouvernement qualifie la protection de l’océan de « décision arbitraire » 

Le 29 mars 2024, le ministre délégué à l’Europe Jean-Noël Barrot se rendait à Boulogne et exprimait son soutien envers les pêcheurs, affirmant que le gouvernement allait « résister à ces décisions arbitraires du Royaume-Uni ».  

Rappelons donc tout d’abord que l’interdiction décrétée par le Royaume-Uni ne s’applique qu’aux techniques de pêche destructrices comme le chalutage de fond, et que dans certaines zones abritant des écosystèmes vulnérables : des récifs ou des zones rocheuses abritant des communautés fragiles d’éponges et de coraux. L’aire marine protégée de Cape Bank abrite ainsi d’importantes espèces d’oursins et un type particulier d’étoiles de mer appelé « étoile coussin ». L’aire protégée d’Haig Fras, quant à elle, abrite une faune variée allant d’anémones bijoux fluorescentes en lumière ultraviolette à des coraux solitaires évoluant au fond.  

Ce sont ces habitats rocheux, qui sont essentiels pour les populations de poissons qui s’y reproduisent et y grandissent, qui sont ainsi protégées des méthodes de pêche qui raclent les fonds marins et arrachent tout sur leur passage. Les zones désignées par le gouvernement britannique sont d’ailleurs extrêmement restreintes : un total de 4.000km2, et seulement 37% de la surface totale des treize aires marines protégées ciblées. Les autres techniques de pêche, comme la ligne, le filet, les casiers, y sont d’ailleurs toujours autorisées. 

Les fake news sur une prétendue « discrimination » à l’encontre des pêcheurs français  

L’interdiction du chalutage de fond et des engins de pêche trainants s’applique à tous les navires, qu’ils soient britanniques, français, belges, néerlandais, allemands, danois, ou suédois 

Via la plateforme Global Fishing Watch, nous avons analysé pour l’année 2023 l’effort de pêche de tous les navires européens de plus de 15 mètres qui ont eu recours au chalutage de fond ou à la drague dans les treize aires marines protégées britanniques concernées1Au Royaume Uni et au sein de l’Union européenne, tous les navires de plus de 15 mètres ont l’obligation d’activer un système de suivi GPS/AIS. Le suivi de leur effort de pêche est donc relativement fiable, et permet d’évaluer précisément l’impact de la décision du Royaume-Uni pour tous les navires de plus de 15 mètres. 

Loin d’être « discriminatoire », cette interdiction impacte à la fois les pêcheurs français, britanniques et néerlandais, et belges dans une moindre mesure.  

Le chantage à l’emploi du lobby du chalut  

Au-delà des heures de pêche, le nombre de navires européens de plus de 15 mètres ayant opéré dans ces treize aires marines protégées est relativement restreint : 67 navires français, 60 navires britanniques, 50 néerlandais, 29 belges2Concernant les navires de moins de 15 mètres, un suivi fiable par GPS/AIS est impossible. Suite au Brexit, nous sommes cependant en capacité d’estimer que seuls 10 navires de l’UE, tous les dix français, sont a priori impactés par cette mesure. En effet, suite au Brexit, certains navires de l’Union européenne de moins de 15 mètres ont obtenu des licences dédiées pour pouvoir continuer à pêcher dans les eaux britanniques. Le registre européen des navires ayant accès aux eaux anglaises recense seulement 10 navires de moins de 15 mètres ayant recours à des engins trainants de fond autorisés à pêcher dans la bande côtière britannique (bande des 6-12 miles nautiques). Or, la majorité des zones interdites aux engins traînants situées près des côtes de l’UE se trouvent dans cette bande côtière, y compris l’AMP Foreland, située en Manche et intensément pêchée par les navires de plus de 15 mètres. Ainsi, seuls 10 navires de moins de 15 mètres sont a priori impactés par cette mesure. Mais sans accès à leurs données GPS/AIS, il est impossible de calculer la dépendance exacte de ces 10 navires à ces zones, mais nous nous pouvons raisonnablement faire l’hypothèse que leur stratégie de pêche ne diffère pas foncièrement des navires de 15, 16 ou 17 mètres pour lesquels nous avons un suivi GPS/AIS.  

Nous avons estimé la dépendance de ces 206 navires aux aires marines protégées ciblées par les Britanniques, cette dépendance étant définie comme le pourcentage du temps de pêche passé par un navire dans ces treize aires marines protégées par rapport à son temps de pêche global sur l’année 2023.  

L’interdiction décrétée par les Britanniques a un impact marginal sur l’activité des pêcheurs européens : les navires concernés y passent en moyenne 2,24% de leur temps3Rappelons que l’interdiction du chalutage de fond ne concerne que 37% de la surface de ces AMP. Cette dépendance calculée est donc largement surestimée, car nous avons pris les heures de pêche sur toute la surface de chaque AMP, et non pas sur les petits confettis réellement touchés par cette mesure.. Les 67 navires français de plus de 15 mètres identifiés dans les aires protégées britanniques sujettes à l’interdiction y passent quant à eux en moyenne 3,16% de leur temps de pêche. 

Par ailleurs, et contrairement aux propos d’Olivier Le Nézet, qui évoque un impact sur 100% de l’activité de certains pêcheurs de Boulogne-sur-Mer, nous voyons que sur les 206 navires potentiellement impactés, seuls 9 navires étaient dépendants en 2023 à plus de 10% de la pêche dans ces aires marines protégées, et seuls deux d’entre eux (un belge, un néerlandais) y sont dépendants à plus de 15%. Aucun navire français de plus de 15 mètres ne passe plus de 15% de son temps dans les aires protégées dans lesquelles des interdictions du chalutage de fond ont été édictées. 

Le gouvernement français et le Comité national des pêches perdent tout crédit 

La mobilisation du gouvernement français et du Comité national des pêches pour torpiller la décision du Royaume-Uni relève donc bien de l’imposture.  

Et à l’issue de cette séquence, c’est le crédit que l’on pouvait accorder au gouvernement et au Comité national des pêches pour engager la transition sociale et écologique du secteur de la pêche qui s’effondre.  

En effet, la déchalutisation de la flotte de pêche française devrait être à l’agenda du gouvernement depuis la publication du rapport Poséidon publié en 2006 par les services du Premier ministre. Une étude menée par les scientifiques de l’Institut Agro, AgroParisTech et l’EHESS est venue remettre le sujet à l’ordre du jour en révélant que cette transition répondait à la fois à des enjeux sociaux, environnementaux et économiques.  

Mais, contre toute évidence, et au mépris des faits, le gouvernement et le Comité national des pêches cultivent le déni, ayant mis en branle une campagne de communication mensongère et des manœuvres diplomatiques de grande ampleur pour perpétuer cette entreprise de destruction des écosystèmes marins dont dépendent les pêcheurs.  

Alors qu’Emmanuel Macron avait lancé avec le Royaume-Uni la Coalition de la Haute Ambition pour la Nature et les Peuples lors du One Ocean Summit à Brest en févier 2022 pour que les États protègent 30% de leurs eaux, les manœuvres diplomatiques engagées aujourd’hui par la France contre le gouvernement britannique révèlent que le gouvernement est prêt à saper, à un an de l’accueil à Nice de la troisième conférence des Nations unies sur l’océan, la crédibilité de la parole diplomatique française pour contenter un lobby industriel. Un tel asservissement face aux intérêts privés devrait toutes et tous nous inquiéter. 


Pour aller plus loin : 

Le tableau suivant détaille la dépendance moyenne des navires de plus de 15 mètres aux engins de fonds trainants pour chacune des AMP concernée par l’interdiction. Pour toutes ces aires marines protégées, la dépendance est inférieure à 4%. Rappelons encore une fois que cette dépendance est largement surestimée, car nous avons considéré les heures de pêche sur toute la surface de chaque aire marine protégée, et non sur les zones qui, en leur sein, sont réellement visées par cette mesure. 

A propos de l’impact de cette interdiction sur les navires de pêche de moins de 15 mètres, soumis à l’obtention de licences spécifiques suite au Brexit, nous voyons sur cette carte issue de l’Organisation de gestion marine britannique que la plupart des zones concernées par l’interdiction du chalutage de fond sont comprises dans les eaux territoriales britanniques. 

 

Crédit photo : Bernard Blanc

Vous aussi, agissez pour l'Océan !

Faire un don
Réservation en ligne
Je réserve un hôtel solidaire

Je réserve un hôtel solidaire

Achat solidaire
Je fais un achat solidaire

Je fais un achat solidaire

Mobilisation
Je défends les combats de BLOOM

Je défends les combats de BLOOM

Contre-pouvoir citoyen
J’alerte les décideurs

J’alerte les décideurs