09 mai 2019
Le dossier « pêche électrique » continue de faire couler de l’encre.
Ce jeudi 9 mai, BLOOM, 40 pêcheurs professionnels des Hauts-de-France et la coopérative de Dunkerque ont déposé une plainte auprès du Tribunal de Grande Instance de Dunkerque, portée par Maîtres Maud Touitou et Sébastien Mabile du cabinet Seattle Avocats. Plusieurs cas de pêche électrique ont en effet été recensés dans les eaux territoriales françaises, c’est-à-dire une bande côtière de 22km (12 milles nautiques). Si ces navires ont été équipés au-delà du cadre légal de 5% de la flotte de chalutiers à perche des Pays-Bas — comme cela a été le cas pour 70 des 84 navires équipés, soit dans 83% des cas — l’infraction serait avérée.[1]
Le manque de transparence totale dans ce dossier ne permet pas à BLOOM d’assurer que les navires qui pêchent dans les eaux françaises sont au-delà du cadre règlementaire des 5% (voir Section ‘Pour aller plus loin’). « BLOOM a reconstitué les données grâce aux informations publiées dans la presse néerlandaise et différents rapports mais nous ignorons, pour chacune des licences émises, la date formelle d’émission et le statut juridique », explique Frédéric Le Manach, directeur scientifique de BLOOM. En effet, les demandes successives de BLOOM auprès du CIEM, de l’IMARES, du gouvernement néerlandais[2] et de la Commission européenne[3] pour obtenir une liste détaillée des navires équipés n’ont pas été concluantes, tout comme la question écrite adressée à la Commission par les eurodéputés belges Frédérique Ries et Louis Michel. « Cette plainte va nous permettre de forcer la transparence, de maintenir la pression et le rapport de force. Nous ne lâcherons rien car, nous l’avons démontré, l’industrie néerlandaise a systématiquement contourné la loi dans le cadre de la pêche électrique », martèle Sabine Rosset, directrice de BLOOM.
« Grâce à cette plainte, nous espérons obtenir réparation pour les préjudices subis et la reconnaissance du caractère illégal de la majorité des licences néerlandaises, si besoin à travers un renvoi préjudiciel devant la Cour de Justice de l’Union européenne. En tant que citoyens ou ONG, nous ne pouvons en effet pas directement nous adresser à cette instance car le système est totalement verrouillé. Un État membre, la France par exemple, pourrait le faire mais il n’y a pas de volonté politique », explique Mathieu Colléter, responsable des relations institutionnelles chez BLOOM. « Nous voulons que l’illégalité de l’expansion de la pêche électrique ces dernières années soit reconnue et que justice soit faite. Les pêcheurs électriques ont — soutenus par leur gouvernement — pillés un bien commun et bafoué le droit européen, ce qui se traduit par la faillite de très nombreux pêcheurs artisans. Il faudra des années avant que les populations de poissons se reconstituent car les juvéniles et tout l’écosystème ont probablement été endommagés », s’indigne quant à lui Stéphane Pinto, représentant des fileyeurs des Hauts-de-France et vice-président du Comité régional des pêches des Hauts-de-France.
Le dépôt de cette plainte intervient le jour où se tient également le vote à l’Assemblée nationale sur l’interdiction de la pêche électrique dans les eaux territoriales françaises. Ce projet de loi, porté par le député Erwan Balanant (Modem), a été cosigné par 125 députés de tous bords politiques. « Cette loi est très attendue par les pêcheurs artisans français car elle permettra d’éradiquer immédiatement toute pêche électrique dans la bande côtière, en attendant l’interdiction totale de cette méthode destructrice le 1er juillet 2021« , explique Laetitia Bisiaux, chercheuse chez BLOOM. « Le nombre de chalutiers électriques va également drastiquement diminuer dans l’ensemble de la mer du Nord dans les prochains mois. Environ 70 chalutiers électriques devraient normalement être déséquipés dès que le règlement ‘Mesures techniques’ entrera en vigueur ».
BLOOM devra se battre pour que cette réglementation soit respectée. Si l’interdiction de la pêche électrique a été entérinée à une large majorité par le Parlement européen le 16 avril 2019, la Ministre de la pêche des Pays-Bas, Carola Schouten, a annoncé publiquement qu’elle ne respecterait pas cette décision. Elle a unilatéralement décidé d’accorder un délai supplémentaire jusqu’au 31 décembre 2019 pour 20 navires en avançant l’argument fallacieux de la recherche scientifique. La Ministre néerlandaise surestime également le nombre de chalutiers à perche afin de gonfler à 22 le nombre de dérogations autorisées jusqu’au 30 juin 2021, alors que les Pays-Bas devraient en bénéficier de 15 au maximum.[4] Un courrier a été adressé à la Commission européenne lundi 6 mai 2019 afin de l’alerter et de l’enjoindre à agir rapidement. Ce nouveau développement montre bien que le combat se poursuit toujours pour faire appliquer la réglementation européenne et obtenir des compensations pour les pêcheurs artisans.
Pour rappel, la Commission européenne et le Conseil de l’Union avaient créé en 2006 un régime de dérogations permettant à chaque État membre de pratiquer la pêche électrique — interdite depuis 1998 — à hauteur de maximum 5% de leur flotte de chalutiers à perche. Loin d’assouvir la soif des industriels, les Pays-Bas avaient alors accordé de très nombreuses dérogations illégales au prétexte de la recherche. C’est ce que BLOOM avait révélé le 2 octobre 2017 en portant plainte auprès de la Commission européenne.[5] Le 1er février 2019, la Direction des pêches de la Commission européenne avait enfin reconnu que BLOOM avait raison et que les Pays-Bas avaient donc transgressé la loi en proposant l’ouverture d’une procédure formelle d’infraction au Collège des Commissaires de l’Union européenne. Mais l’affaire piétine et le Collège des Commissaires ne semble pas pressé de traiter ce dossier.
Trois séries de dérogations ont été accordées sur la période 2006-2018 :
L’interdiction de la pêche électrique entrera en vigueur le 1er juillet 2021. Pendant la période de transition, c’est-à-dire entre l’entrée en vigueur du nouveaux règlement (dans les semaines qui viennent) et cette date butoir de juillet 2021, seuls 5% de la flotte de chalutiers à perche (correspondant au maximum à 15 navires selon la mise à jour du fichier de la flotte des navires de pêche européens) pourront continuer à pratiquer cette technique. Actuellement, ce sont toujours 84 chalutiers électriques qui pêchent en mer du Nord.
[1] Cette infraction est prévue et réprimée par l’article L. 945-4, 6° et 8° du Code rural et de la pêche maritime. Disponible à : https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006071367&idArticle=LEGIARTI000033035242&dateTexte=&categorieLien=id
[2] https://www.bloomassociation.org/en/requests-electric-fishing/
[3] https://www.bloomassociation.org/wp-content/uploads/2019/05/Ares_2019_2615995.pdf
[4] En effet, Carola Schouten a pris pour référence le 1er janvier 2006, date à laquelle la flotte des Pays-Bas était composée de 356 chalutiers à perche à titre primaire et 23 à titre secondaire. 5% de la flotte de chalutiers à perche correspondent à 19 navires en prenant pour référence le 1er janvier 2006. En prenant le 1er janvier 2019, le nombre de dérogations s’élève à 15 navires au maximum.
[5] https://www.bloomassociation.org/peche-electrique-bloom-porte-plainte-contre-pays-bas/