La pêche électrique industrielle repousse les limites de l’éthique. Jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour capturer le dernier poisson ?
Grâce à son acharnement sur le terrain législatif, BLOOM a fait avancer malgré les obstacles, le dossier de l’interdiction de la pêche électrique en Mer du Nord jusqu’à obtenir son interdiction totale et définitive le 1er juillet 2021. Aujourd’hui encore, malgré l’interdiction en vigueur, BLOOM doit mener un véritable bras de fer avec la Commission européenne afin qu’elle fasse respecter le droit et qu’elle sanctionne les Pays-Bas.
En Europe, les populations de poissons ont atteint des niveaux si bas qu’aller les pêcher ne permet plus d’amortir les coûts engagés. Une course technologique est engagée contre les derniers poissons pour les déloger de leurs cachettes. C’est ainsi que l’Europe, au lieu de réduire drastiquement une capacité de pêche surdimensionnée, permet aux navires de recourir à l’électricité pour capturer les poissons. Aussi destructrice que la pêche aux explosifs ou au cyanure, la pêche électrique avait pourtant été interdite en Europe en 1998 et l’est toujours dans la plupart des pays du monde, comme la Chine, le Brésil ou les Etats-Unis.
Au niveau international, l’Europe s’est engagée à « mettre un terme, d’ici à 2020, aux pratiques de pêche destructrices » dans le cadre des Objectifs de développement durable adoptés par l’Assemblée générale des Nations unies en 2015. Pourtant, la Commission européenne a proposé aux parlementaires de lever l’interdiction de la pêche électrique afin de la considérer désormais comme une méthode de pêche « conventionnelle ».
Malgré son interdiction depuis 1998, les Pays-Bas ont obtenu, en 2007, des dérogations pour équiper leurs chalutiers à la pêche électrique. Jusqu’en 2019, plus d’une centaine de dérogations « expérimentales » a été accordée à l’industrie néerlandaise. Cette pêche « scientifique » cache en réalité des intérêts commerciaux.
La pêche électrique est un artifice technologique permettant de diminuer de moitié la consommation de carburant et de maintenir à flot des unités de pêche autrement exsangues. La réduction des coûts dans une situation de surexploitation chronique agit comme un chant de sirènes pour les flottes industrielles. La pêche électrique menace ainsi de s’imposer aujourd’hui en Europe et avec elle, la désertification de l’océan.
Accepter la pêche électrique est un aveu d’échec : c’est reconnaître qu’il n’y a plus assez de poissons pour que les pêcheurs remplissent leurs filets sans recourir à une technologie de plus en plus sophistiquée et performante. Les inquiétudes liées à la pêche électrique sont nombreuses.
Le développement rapide de la pêche électrique a été encouragé par la Commission européenne, qui a accordé très tôt des dérogations à l’interdiction en vigueur. En outre, les Pays-Bas ont illégalement accordé de nombreuses licences de pêche électrique, ce sur quoi la Commission européenne a également fermé les yeux. C’est pourquoi en octobre 2017, BLOOM a formellement porté plainte contre les Pays-Bas auprès de la Commission européenne pour allocations illégales et injustifiées de dérogations. Cette plainte signe le début d’une campagne européenne qui a débouché sur une victoire : la pêche électrique est interdite en Europe depuis le 1er juillet 2021.
Le 14 août 2019, le règlement « mesures techniques » publié au Journal Officiel entérine l’interdiction totale et définitive de la pêche électrique, mesure effective à compter du 1er juillet 2021. Pendant la période de transition, seuls 5% de la flotte de chalutiers à perche de chaque État Membre est autorisé à pêcher à l’électricité, ce qui représente 15 bateaux pour les néerlandais. Les Pay-Bas attaquent cette décision devant la Cour de justice de l’Union européenne et la Ministre Carola Schouten choisit de tordre le bras à la réglementation qui impose une limite de 15 dérogations en instaurant une rotation des navires ayant recours à la pêche électrique.
En électrocutant l’environnement marin, les effets visibles de la pêche électrique sont marquants: par exemple, 50 à 70% des cabillauds remontés à bord souffrent d’hémorragies et de fractures de la colonne vertébrale consécutives à l’électrocution. Un grand nombre d’incertitudes demeurent également quant aux effets du courant électrique sur les œufs, la croissance des juvéniles, la reproduction, le plancton, les espèces électro-sensibles comme les raies et les requins etc.
Les pêcheurs artisans s’inquiètent également du développement de la pêche électrique. D’une part, cette technique ultra efficace menace directement les écosystèmes. D’autre part, sa maniabilité accrue par rapport à un chalut conventionnel lui permet d’être utilisée dans les zones côtières sensibles où les pêcheurs artisans sont actifs.
La pêche électrique industrielle repousse les limites de l’éthique. Jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour capturer le dernier poisson ?
BLOOM demande l’interdiction effective et totale de la pêche électrique en Europe. Permettre aux garde-fous juridiques de l’Union européenne de sauter sous pression d’un modèle économique à bout de souffle est une faute grave. La pêche électrique a été classée comme une méthode de pêche aussi destructrice que les explosifs et le poison. La banaliser pour satisfaire un lobby industriel n’est pas acceptable, sachant les conséquences dramatiques que son déploiement aurait sur l’environnement marin et les emplois. Notre position est heureusement partagée par l’État français ainsi que par les pêcheurs du Nord de la France, en contact direct avec les navires néerlandais.
Une pêche durable pour les écosystèmes et les pêcheurs doit passer par une transition vers des méthodes de pêche plus douces, génératrices d’emplois et garantes d’une qualité de produit supérieure pour un impact environnemental moindre. L’interdiction de la pêche électrique marquera une étape importante dans cette direction.